Inauguration au bout du monde
Nous avons passé une semaine intense ici, sous la coordination bienveillante de Jean-Marc. Heureusement, une grande partie du travail avait déjà été préparée en amont par notre partenaire local. L’organisation était solide, mais le véritable défi, lui, n’était pas logistique : c’était la langue.
Il fallait jongler entre six langues ! L’anglais, langue des touristes ; le français, ma langue maternelle ; le turkmène, utilisé par notre partenaire et dans les écoles ; le karakalpak, puisque nous étions au Karakalpakstan ; l’ouzbek, langue officielle du pays ; et enfin le russe, encore très présent chez les générations plus âgées. Autant dire que la communication ressemblait parfois à un jeu de piste, et qu’une partie des échanges se perdait en chemin.
Pour ma part, j’ai surtout donné un coup de main en cuisine. Les rôles étaient encore très marqués, mais finalement, c’était peut-être un mal pour un bien : cela me permettait de m’éclipser de temps à autre pour aller "me poudrer le nez", comme j’aimais le dire.
Chaque journée commençait par une virée au marché : faire les courses, discuter avec les vendeuses, goûter de nouveaux aliments, rire, répondre aux questions avec l’aide précieuse de la traduction. Mon rôle ? Suivre le rythme, m’émerveiller, créer du lien — souvent avec un sourire, parfois avec une application de traduction sur le téléphone.
Mais pour moi qui aime tant parler, cette barrière de la langue a été une vraie frustration. Alors j’ai trouvé une solution originale, surtout avec les élèves dans les écoles : un petit jeu de questions réponses universel, où le football servait de langage commun.
– Réal ou Barça ? — Je répondais : le FC Zurich !
– Samsung ou iPhone ? — Je montrais mon téléphone.
– Messi ou Ronaldo ? — Je sortais une photo de mes garçons… et là, l’excitation était à son comble ! Il fallait vite calmer le brouhaha avant le retour de l’enseignant.
– Mbappé ou Neymar ? — Je montrais la photo de Shaqiri ! Lui, avec Sommer, faisaient partie des rares footballeurs suisses connus ici.
Je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai été prise en photo. Tous voulaient devenir mes amis sur Instagram, mais ce n’était pas possible, même si cela aurait fait exploser mon nombre de suiveurs !
Dans les rues, les jeunes venaient souvent me parler, pour utiliser les quelques mots d’anglais appris à l’école. Trop souvent, les groupes de touristes ne prenaient même pas la peine de leur répondre. Pour moi, il était naturel de le faire — mieux encore, j’essayais de les motiver à continuer à apprendre des langues. Car leur pays a un potentiel immense, et avec l’afflux croissant de touristes, il faudra savoir accueillir, échanger, briller.
Nous avons passé une dizaine de jours hors du temps. Ce fut une parenthèse magnifique, précieuse. Puis, retour à la civilisation : d’abord par la visite de Khiva, ville sublime, véritable bijou architectural. Deux jours de flânerie, de photos, d’émerveillement.
Ensuite, direction Boukhara. Sept heures de train à travers le désert, une arrivée de nuit, une sortie de gare chaotique où il fallait retrouver notre taxi, commandé — heureusement ! — via une application.
Et enfin, le dernier arrêt : Samarcande. Deux jours encore, à découvrir les merveilles de cette ville mythique. Puis, ce fut le moment du retour à la maison.
Mais quelque chose en moi était resté là-bas, quelque part entre les rires du marché, les yeux brillants des enfants, et les six langues entremêlées d’un pays aux mille visages.
Une partie de mes photos